Michel De Trez, né en 1965, s’intéresse depuis son plus jeune âge à l’histoire, et plus particulièrement à l’histoire de la deuxième guerre mondiale. Enfant, il récolte dans la maison familiale quelques objets laissés en Belgique par des soldats américains. Parmi ceux-ci, une gourde sur laquelle un nom et numéro de matricule est indiqué: “Guth”. Tout naturellement, quand avec les autres enfants de son âge, il joue “guerre”, Michel s’appelle Guth. Mais, qui était réellement ce soldat ? Qu’avait bien pu être la motivation de ces jeunes américains qui avaient délibérément quitté leur pays, leur famille, tout ce qu’ils avaient ou ce qu’ils aimaient, pour risquer de tout perdre jusqu’à la vie pour nous libérer du joug Nazi? Et surtout, qu’était-il arrivé à Monsieur Guth ? Etait-il toujours vivant ? Ces questions, il se les pose très souvent, mais à l’époque où internet n’existait pas, pas facile d’entreprendre ce genre de recherche.
À l’âge de 17 ans, baratinant seulement quelques mots d’anglais, il entreprend son premier voyage, seul, aux Etats-Unis, avec l’idée de rencontrer des vétérans américains et recueillir leur témoignage et qui sait peut-être retrouver Monsieur Guth.
Son intérêt se concentre sur l’histoire des parachutistes américains et il développe un intérêt particulier pour les photographies d’époques faites par les correspondants de guerre sur lesquelles des parachutistes figurent. Il fouille pendant des mois les Archives Nationales de Washington, recense les photos, les collectionnent, les classent, par campagne, par unité, et assiste à de nombreuses réunions de vétérans pour identifier, autant que possible, les hommes se trouvant sur ces photos et les lieux où elles ont été prisent. Un minutieux travail d’enquête est mené et il accumule grâce à cette passion des archives uniques au monde.
Suite à une rencontre avec Cornell Capa, le jeune frère du célèbre photographe et reporter de guerre Robert Capa, on lui ouvre même les portes de l’international Center of Photography de la 5th Avenue de New York et donne accès à la prestigieuse collection de photos prisent pour Life Magazine par Robert Capa.
Neuf années passent, et Guth dans tout cela? Toujours aucune trace.
Michel a accumulé, identifié et classifié des milliers de photos inédites qu’il voudrait les partager avec le plus grand nombre. Pour ce faire, il entreprend de publier au travers une série de livres couvrant les campagnes menées par les parachutistes américains en Europe. Pour réaliser ce projet comme il l’entend, il fonde la maison d’édition D-Day Publishing. Alors qu’il écrit son premier livre en 1992, il tombe sur une photo publiée dans un livre aux Etats-Unis, “Band of Brothers”. Une légende identifie un soldat américain se trouvant sur une photo : Forrest Guth. Serait-ce le propriétaire de la gourde?
Dans le livre, on apprend que Guth est d’origine allemande et comme de nombreux immigrés d’origines germaniques, il résidait avant la guerre avec sa famille dans une région de la Pennsylvanie. Un annuaire téléphonique, quelques coups de téléphone et le voici en ligne avec Forrest Guth, qu’il rencontre chez lui quelques mois plus tard. C’est bien son écriture, son matricule, il n’y a pas de doute, la gourde est bien la sienne et peut alors raconter son histoire : « En 1944, Forrest, parachutiste se battait en Belgique… »
Une grande amitié se développe entre le jeune homme et le vétéran, amitié qui mènera à l’écriture de la biographie de Forrest.
L’unité dans laquelle Forrest avait combattu à travers l’Europe était la 101e Airborne Division, sans nul doute l’unité la plus célèbre de l’Armée des Etats-Unis. C’est cette unité qui va alors devenir celle dans laquelle Michel De Trez va se spécialiser. Les deux hommes se voient régulièrement, voyagent ensemble en Europe et aux Etats-Unis. Forrest présente ses frères d’armes et aide Michel à collecter histoires, photos, témoignages et objets. Les objets collectés deviennent un des supports illustrant ses ouvrages. Ce n’est plus simplement une gourde, un casque ou une veste, ce sont des objets uniques qui ont une histoire à raconter. Et cette histoire, il veut la partager.

Michel De Trez et le Col. Rob Dalessandro, U.S. Army Ret, Former Director US Army’s Heritage.
Il publie alors de nombreux ouvrages sur les parachutistes qui bien souvent, font autorité en la matière. Il collabore à de nombreux magazines. Aux Etats-Unis, lors de l’ouverture de la Military History Institute, The US Army Heritage and Education Center, il est parmi de nombreux historiens, le seul auteur européen à être invité pour présenter ses ouvrages. Sa renommée lui vaudra également de recevoir de l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique, la Médaille de l’Excellence pour sa contribution à la préservation et la transmission de l’Histoire des Etats-Unis, d’être fait citoyen d’honneur d’une ville du Kentucky pour avoir écrit la biographie d’un médecin parachutiste (Doc McIlvoy) et également de travailler plusieurs fois avec le réalisateur américain Steven Spielberg.
Deux de ses ouvrages font partie de la documentation personnelle du célébrissime cinéaste et lorsque qu’il réalise son film “Il faut Sauver le Soldat Ryan” et sa série télévisée “Band of Brothers”, c’est entre autres à l’auteur spécialiste que son équipe fait appel pour des conseils techniques et la fourniture de costumes et d’équipements militaires. Curieusement, c’est l’histoire de la compagnie de Forrest Guth que Spielberg relate.
Au fil des nombreuses rencontres avec les vétérans, l’auteur garde toujours en tête l’idée d’ouvrir un musée sur les lieux des combats des parachutistes américains et il accumule une impressionnante collection d’objets ayant appartenus à ces vétérans qu’il a rencontrés et qui croient en ses projets animés de passion. Ces derniers donnent volontiers leurs précieux souvenirs pour être conservés et exposés là où ils ont combattus et il accumule ce qu’il se dit être la plus grande collection mondiale d’objets militaires relative à cette thématique. « Il faut transmettre toute cette Histoire et après avoir publié, il n’y a pas mieux qu’exposer », pense l’auteur. En 1994, à l’occasion du 50e anniversaire du débarquement de Normandie, il monte une exposition durant quatre mois, à Carentan, première grande ville libérée par la 101e Airborne. Les visiteurs sont impressionnés par la richesse historique du matériel exposé. La Région aimerait bien que cette collection, ce patrimoine historique lié au débarquement dans la région, reste sur le territoire. Mais, où trouver les fonds pour construire un musée ? Aucun fond public ne semble disponible pour exposer de manière permanente ces collections privées.
En 2004, à l’occasion du 60e anniversaire du débarquement, l’auteur réunit grâce à la vente de ses ouvrages un budget de 100.000 euros qu’il consacre entièrement à une exposition intitulée : « The Greatest Generation ». Celle-ci se tient à Sainte-Mère-Eglise. L’auteur y présente son dernier ouvrage : Sainte-Mère-Eglise – Photographs of D-Day. Des décors gigantesques de la ville sont construits sous un énorme chapiteau de 1000 m2. Forrest est présent, et pour la première fois, il découvre un mannequin construit à son effigie, dans l’idée des musées Tussaud ou Grévin. Le mannequin porte son uniforme et son équipement du D-Day.
Quelques temps après, dans sa traque de l’histoire des objets et des photos, alors qu’il se trouve sur les plages du débarquement de Normandie, en compagnie d’un autre spécialiste de cette histoire, Emmanuel Allain, son regard croise un panneau “A vendre” sur une maison dont il connaît bien le passé historique: la villa baptisée par les Américains « Dead Man’s Corner » (carrefour de l’Homme Mort). Cette villa bourgeoise de Saint-Côme-du-Mont, ils la connaissent bien. Elle trône en gros plan, page 139 de leur livre de chevet : « Rendez-vous with Destiny ». Ce livre écrit en 1948 est l’histoire officielle de la 101e Airborne.
Instantanément Michel sait que cette villa n’est pas sur son chemin par hasard. Ce sera le futur Musée qu’il avait depuis des décennies rêvé de réaliser. Juin 2005, vingt-six vétérans américains et un vétéran allemand inaugurent le Dead Man’s Corner Museum qu’il vient d’ouvrir avec son nouvel associé E. Allain.
L’endroit se façonne au fil des ans et devient le Centre Historique des Parachutistes du Jour-J. Un musée, un parcours historique sur le champ de bataille de Carentan. Le musée privilégie la qualité et l’histoire des objets exposés plutôt que la quantité. Facile pour quelqu’un qui a consacré une partie de sa vie à collecter ces objets avec leur histoire directement auprès des vétérans de ce que l’on appellera le plus grand événement du 20e siècle.

L’équipe de tournage du film documentaire Brothers in Arms produit pour History Channel, devant Dead Man’s Corner Museum.
Cette villa surplombant Carentan est au coeur du champ de bataille de la 101e Airborne Division. Et alors que le musée est à peine ouvert, la voilà à nouveau au coeur de l’actualité. Gearbox Software et Ubisoft, deux géants des jeux vidéos l’ont fidèlement reproduite dans leur nouvelle production inspirée de l’histoire de la 101e : Brothers in Arms. Un partenariat entre le géant et le petit musée se met en place et le musée collabore étroitement avec le Colonel John Antal à la production d’un documentaire pour History Channel, narré par l’acteur américain Ron Livingston.

L’acteur Ron Livingston (Band of Brothers) en
compagnie de l’auteur.
Le petit musée bouscule les habitudes. Cette nouvelle et inédite approche muséale fascine, elle fascine plus particulièrement Mathieu Steffens, un jeune collectionneur belge d’à peine 24 ans, qui réalise à Baugnez, un musée sur le site du tristement célèbre Massacre de Malmédy. Les deux hommes ont la même vision de ce que doit être aujourd’hui un musée d’histoire de la guerre. La fougue de la jeunesse faisant, en 2012, Mathieu entraîne Michel dans la reprise du Musée de La Gleize. Celui-ci fondé par Philippe Gillain, Gérard Grégoire, la Commune de Stoumont – La Gleize et la Province de Liège va fermer ses portes.
Neuf mois de travaux, une surface doublée, une nouvelle muséographie, des collections enrichies pour arriver le 20 juin 2013 à une cérémonie d’ouverture en présence d’un vétéran américain des combats de La Gleize et de la fille du fondateur du Musée, Marie Gillain. Étonnamment, c’est Steven Spielberg qui donnera à la talentueuse actrice belge ses premières envies de cinéma.
L’histoire ne s’arrête pas là, les ouvrages s’enchaînent, mais les photos et les objets aussi. Et parfois, ce sont de très gros objets, comme un char ou un avion ! Et c’est encore Spielberg qui va, sans le savoir, être l’instigateur du projet. Etant dans les studios lors du tournage de la série Band of Brothers, l’expert en uniformologie s’arrange pour racheter l’un des avions qui a servi au tournage. Spielberg avait transformé l’authentique C-47 en studio de tournage et l’avait monté sur de petits vérins. Cela avait fait naître chez les deux comparses du Dead Man’s Corner une idée un peu folle. « Et si on poussait la réalisation de Spielberg en prouesse technologique ? Et si on construisait avec cette avion un simulateur de vol High-Tech avec effets spéciaux, écrans 3D, odeurs, fumées, flames, impacts, mouvements amplifiés… ; un simulateur qui pourrait comme à l’époque emporter au-dessus de la Manche 27 visiteurs tout comme il a emporté 27 parachutistes lors de la mythique traversée du 6 juin 1944. »

Les acteurs de Band of Brothers et l’auteur.
Michael Cudlitz (Bull Randleman), Michel De Trez,
Matthew Settle (Capt. Ronald Speirs) et Scott
Grimes (Don Malarkey).
Projet bien ambitieux que celui d’emmener du public en toute sécurité, dans une simulation hautes sensations. Prouesse technologique de simuler les sensations d’un vol, plus de trente fois par jour 7 jours sur 7, avec un véritable avion dont la résistance n’est pas du tout conçue pour une portance sur un point unique. Si l’on veut se sentir dans la peau d’un para du 6 juin, il faut que cela soit parfait. Si l’on veut faire honneur à ce que ces hommes ont été prêt à faire pour nous, il n’y a pas place pour de l’amateurisme. Les comparses s’entourent des meilleurs, ceux qui réalisent les attractions à grande sensation pour les plus grands parcs d’attraction de la planète. Plus d’un an d’étude, de test de faisabilité… Est-ce vraiment réalisable ou n’est ce qu’un rêve ? Est-il possible de lever ces tonnes d’acier, d’alu et de passagers plus de 10 000 fois par an sans endommager la structure ?
Le 6 juin 2015, ce sont comme chaque année les commémorations de l’anniversaire du débarquement de Normandie. C’est l’agitation à Saint-Côme-du-Mont. Un énorme bâtiment en forme de hangar d’aviation s’est construit au lieu-dit Dead Man’s Corner, derrière le petit musée. Il se dit que deux ingénus vont y faire voler un avion avec du public et que 6.000.000 d’euros de fonds privés ont été nécessaires à ce petit caprice. Ce sont les filles des pilotes du 6 juin 44 de l’avion ‘Stoy Hora’ qui sont venues tout spécialement des Etats-Unis pour couper le ruban qui empêche les nombreux invités de voir ce qu’il y a là-dedans. Les visiteurs entrent dans un pre-show, ils reçoivent un briefing en 3D d’un Colonel parachutiste américain et poussent une porte. Il est là… ‘Stoy Hora’. 71 ans après, il est prêt pour réaccomplir sa mission du Jour-J. L’honneur fait aux deux pilotes, le Colonel Frank Krebs et le Major Howard Cannon est énorme. L’émotion des deux filles est sans pareil. L’innovation et la technologie est partout, c’est même l’un d’un passager de juin 44 qui raconte au visiteur son histoire tout au long du parcours du nouveau musée : le Colonel Wolverton, ce parachutiste de Saint-Côme-du-Mont à la destinée tragique.
D-DAY EXPERIENCE est né. Ce sont plus de 75.000 visiteurs qui l’ont visité et testé la première année et les impressions sont unanimes : on s’y croirait. La consécration suprême arrive quand le vétéran parachutiste américain Jim « Pee Wee » Martin, après un vol simulé déclare avec une énorme émotion : « Je ne pensais plus jamais pouvoir revivre cela. Je me suis retrouvé 71 ans en arrière. C’est totalement incroyable, tout y est. Comment avez-vous réussi cela ? »